Comme bien des Montréalais, Clayton donne de temps à autre des sous aux gens dans le besoin qu’il croise sur la rue et s’arrête pour converser un peu avec eux. Mais ses dons prennent une toute autre ampleur à l’hiver 2017.
Profitant d’une fenêtre de temps où les contrats sont moins abondants, le baryton se consacre à une mission bien particulière : trouver des bottes à des gens qui n’ont pas les moyens de s’en offrir. C’est grâce entre autres aux réseaux sociaux où il lance des appels à tous qu’il parvient à chausser plus d’une cinquantaine de personnes au cours de l’hiver 2017-2018. Dans son appartement d’Hochelaga-Maisonneuve, il nous entretient au sujet de l’initiative qui a meublé quelques mois de sa vie et qui continue d’enrichir ses réflexions sociales et philosophiques. Conversation sur fond de roucoulements de perruches.

Le chanteur originaire de Deux-Montagnes gagne sa vie dans la musique classique depuis une dizaine d’années. « La musique a toujours fait partie de ma vie, avec le chant et la guitare. Ça a commencé avec le country western et les chants d’église, et ensuite la musique de film, le rock, le métal. Aujourd’hui, je peux apprécier à peu près n’importe quel style. » Issu d’un milieu anglophone, il maitrise très bien le français et passe d’une langue à l’autre avec aisance. De solides valeurs d’entraide l’accompagnent depuis l’enfance. « Il y avait beaucoup de bonnes valeurs dans ma famille, et je suis allé aux scouts, à l’église. » Bien qu’il ne se considère pas comme chrétien, il est clair qu’une riche vie spirituelle l’anime et que ses actions sont guidées par ses croyances. Avant l’aboutissement de sa carrière artistique, il emprunte quelques détours. « J’avais beaucoup de résistance à l’idée de prendre un emploi, de contribuer à un système auquel je ne croyais pas, avec toutes ces compagnies anonymes. Mais il me fallait bien travailler. À contre-coeur, j’ai pris un emploi en télé-marketing. Heureusement, ça m’a mené à un autre poste où j’ai beaucoup appris en levée de fond, en développement des affaires, en marketing, comment parler aux gens, comment négocier, ça m’a apporté de l’aplomb, de l’assurance. » Toutes ces habiletés le servent maintenant autant professionnellement que dans sa vie en général.
Une approche ciblée et personnalisée
La prémisse de ce qui mènera à l’épopée des bottes a lieu une journée de printemps où il pleut beaucoup. Clayton croise sur le trottoir un jeune homme d’une vingtaine d’années avec seulement des bas aux pieds, sans souliers. « Je me suis dit ça n’a pas de bon sens, je vais lui acheter des souliers! Je suis allé dans un magasin bon marché, mais je me suis rendu compte que même là, c’était plus cher que je pensais. Mais je me suis dit it’s alright, je le fais. » Au même moment, lui-même se cherche de nouvelles chaussures, ce qui n’est pas une mince tâche car ses deux pieds sont de grandeurs différentes. « C’est drôle que mon focus pour aider le monde à ce moment-là ait été les pieds, parce que dans ma vie, me chausser a toujours été une expérience très particulière! It’s interesting. » Après quelques recherches, il trouve la paire parfaite pour lui, mais trop chère pour ses moyens du moment. « Je me suis dit je veux ça. Peut-être pas maintenant, mais un jour. » Il retourne au magasin après quelques temps et retrouve les chaussures à 75% de rabais. Ce sont désormais ses souliers de concert. « C’est cool, parce que c’est comme si l’univers m’avait envoyé ça. One good turn deserves another. »

Quelques mois passent et l’hiver s’installe avec son froid et ses intempéries. Fréquentant régulièrement le métro Guy-Concordia pour des répétitions et des concerts, le chanteur y aperçoit un homme exhibant une pancarte sur laquelle est écrit qu’il a besoin de bottes. « À ce moment-là, je lui ai donné 20$ parce que je croyais que c’était facile de se trouver des bottes dans un thrift store [magasin d’articles usagés]. » Mais lorsqu’il recroise l’homme quelques jours plus tard, celui-ci est chaussé de bottes de randonnée pas du tout adaptées aux conditions hivernales. « Je me suis informé, et les bottes d’hiver sont environ 100$ pour être bonnes à -30 et -40 degrés. Mais comment ces gens peuvent-ils se le permettre? J’ai demandé au gars c’était quoi sa pointure, et j’ai mis un message sur Facebook. C’est comme ça que ça a commencé. » Un ami ténor répond à l’appel et lui donne les premières bottes. « On s’est retrouvé dans un café. On se connaissait déjà comme collègues chanteurs, mais ça nous a permis d’avoir une bonne discussion sur des choses plus profondes. Quand on fait ce genre de choses, on rentre dans des zones un peu plus vulnérables. On se découvre. »
Le coup d’envoi est donné. « Dans la vie, on sent une espèce d’élan qu’il faut suivre. Je ne sais pas toujours pourquoi, mais je le fais. La première fois que j’ai donné des bottes, it’s like, oh, I have to go there. » Il va à la rencontre des gens dans le métro et continue d’utiliser Facebook pour trouver exactement ce dont ils ont besoin. Parfois, avec la permission de la personne, il joint une photo à sa publication. Les demandes sont toujours très spécifiques, ciblant un besoin précis d’une personne en particulier. Les gens répondent avec enthousiasme et la magie du réseau social opère.

Un esprit de communauté
Au bout d’un moment, on lui parle du père Jean-Pierre Couturier. « Tu devrais le rencontrer! » Depuis une vingtaine d’années, celui-ci se rend tous les jeudis dans plusieurs magasins afin de récupérer les souliers usagés dont les gens se départissent lorsqu’ils en achètent de nouveaux. Il les répare dans son atelier et les redistribue à des organismes de charité. « Je l’ai rencontré et j’ai appris avec lui. Il y a plusieurs façons de réparer les bottes, de les coudre, on peut même mettre un peu de vernis à ongle, c’est imperméable. C’est intéressant, surtout quand on sait que les bottes qu’on répare s’en vont à quelqu’un qu’on connait personnellement. » Le père Couturier lui donne accès aux bottes qu’il amasse avant que celles-ci ne soient données aux organismes. « J’arrivais avec une liste comme le Père-Noël, et je mettais les bottes dans un sac d’école et un granny cart. Puis je partais faire mon parcours. Quelques amis m’ont aidé. »
Pour les initier, il propose d’abord à ses amis de l’accompagner pour distribuer des bas. « Parce que des bas, c’est comme de l’or. » Les gens de la rue portent parfois les mêmes pendant des mois et des mois, et lorsqu’ils sont mouillés, les dégâts peuvent être ravageurs. Sans parler de l’inconfort évident. Fait à considérer, il est primordial qu’ils soient blancs et non de couleur, car l’encre peut couler et provoquer des infections. « C’est quelqu’un dans la rue qui m’a appris ça. »
Son champ d’action s’agrandit encore lorsque son amie Fatimah, qui a alors un projet nommé Purple Hope Project, le met en contact avec un groupe de réfugiés dans Saint-Laurent. « J’ai donné des bottes et des vêtements d’hiver à des réfugiés qui venaient surtout de pays africains, qui avaient une vie aux États-Unis mais qui, à cause de l’actualité ou de leurs visas qui expiraient, sont venus ici. »

Le processus ne se fait pas sans rencontrer quelques difficultés. Des gens ne se présentent pas aux rendez-vous fixés. Certaines personnes peuvent se montrer manipulatrices ou agressives. La santé mentale est un enjeu chez les personnes dans la rue qui n’est pas à négliger. « On apprend des leçons. Ça prend peut-être un peu d’entrainement et une bonne connaissance de soi-même pour se faire une barrière, une protection quand ça arrive. Les gens qui sont dans ces situations-là peuvent quand même avoir une noirceur et si on n’est pas nous-mêmes ancrés, on peut se laisser happer. »
Selon Clayton, il est facile de se laisser prendre au jeu de la culpabilité ou de ressentir le complexe du héros. L’intention derrière le geste doit toujours primer. « Ça peut vraiment être un ego trip. Je pense qu’il faut juste prendre un petit moment de réflexion, se demander si quelque chose comme un rapport héros-victime s’installe. Pour moi, le projet de donner des bottes, c’est vraiment d’entrer dans le moment présent avec quelqu’un d’autre. Et entrer dans le moment présent, ça veut dire qu’on sait qu’on ne peut pas aider d’une manière totale, mais qu’on peut donner un cadeau. Un cadeau vraiment personnel. L’intention est de faire une connexion, de rallumer quelque chose. »
Une seule personne croise sa route à qui il ne réussit pas à donner de bottes. « J’ai ressenti cette sensation de culpabilité avec lui, et c’est comme si la vie avait amené des difficultés. D’abord, il a de très, très grands pieds. Puis, quand je lui donnais rendez-vous, il n’était pas là. Ou alors j’avais des bottes de sa grandeur mais elles étaient déjà promises à quelqu’un d’autre. » Avec cet homme qui s’avère être un maitre du crayon, une autre chose se produit. « Je lui ai passé une commande pour un dessin. Je lui ai demandé s’il pouvait me faire un oiseau. J’aime les oiseaux. Il m’a dit, comme un corbeau? Oui, mais avec un feeling d’espoir. » Le jeune artiste ayant alors accès à un appartement pour quelques mois, Clayton s’engage à lui verser en guise d’acompte un montant d’argent chaque semaine pour son épicerie. C’est ainsi que se noue leur collaboration, et l’œuvre trône maintenant fièrement, encadrée, chez Clayton. « Ça me touche beaucoup. Il a fait ça dans le métro, alors qu’il y a beaucoup de vent chaque fois qu’un métro passe. Mais je n’ai pas réussi à lui donner des bottes. C’est drôle. »

Implication et réflexion
Encore aujourd’hui, Clayton vient en aide aux gens dans le besoin de toutes sortes de façon. Plutôt que de donner des sous à quelqu’un sur le coin d’une rue, il lui arrive d’accompagner cette personne à l’épicerie et de payer à la caisse. Cela donne lieu à des conversations intéressantes, voir profondes quand ça s’y prête.
À la base de son engagement, il y a une volonté de briser l’ordre des choses, « comme une vague ou une onde qui va disturb what’s happening around. » Fort de ses expériences et de plusieurs lectures, il rédige un texte (en anglais) qui se penche sur la réalité de la pauvreté qui habite nos rues et qui tente de la démystifier. Il partage également dans un blogue (en anglais) le fruit de ses réflexions philosophiques et spirituelles sur la nature humaine, les croyances et les systèmes dans lesquels nous évoluons.
Suite au succès de l’hiver 2017-2018, a-t-il l’intention de récidiver l’expérience? « Je pense que oui. J’ai un ami encore l’autre jour qui m’a approché en me disant « hey, j’ai des bottes qui trainent, j’ai pensé à toi! » Je suis devenu une référence quand on a des bottes à donner. (rires) Même si je suis comblé par plusieurs projets, que je travaille beaucoup en ce moment, je sens que ça pourrait revenir. Je ne sais pas comment ça va se produire, ni quelle forme ça va prendre, mais j’attends. Je suis là. »

Mais quel bel article! Si bien écrit, décrivant l’exceptionnel Clayton de façon si juste. Et que dire des photos… magnifiques! Véronique et Marianne, vous faites un magnifique tandem!
J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir.
Merci beaucoup pour vos bons mots! 🙂