Quand on écoute le récit de la vie de Maïgwenn, on se demande quel est le secret de son inépuisable batterie d’énergie. Parce qu’entre sa compagnie de danse, son travail de chorégraphe, de danseuse, de professeure et de maman, il ne lui reste aucun espace pour reprendre son souffle ne serait-ce qu’un peu. Et parce que tous ces rôles, Maïgwenn les endosse avec des défis bien particuliers.
Toute la vie personnelle et professionnelle de cette artiste est axée sur la relation d’aide, et ce, sans même que ce soit réfléchi ou volontaire. « Avant sa retraite, ma mère était éducatrice spécialisée. J’ai toujours côtoyé des adultes vivant avec des déficiences intellectuelles. Pendant une dizaine d’années, nous avons été famille d’accueil pour deux personnes vivant avec la trisomie 21. Elles sont devenues mes sœurs, en quelque sorte. » Devenue adulte, elle travaille pour l’organisme GymnO Laval, qui offre des loisirs adaptés à des enfants et adolescents vivant avec des troubles d’apprentissage, et elle enseigne au Centre des arts de la scène Les Muses, qui donne une formation de calibre professionnelle à des adultes vivant avec des déficiences intellectuelles. C’est là qu’elle fait la connaissance des interprètes avec qui elle fondera sa compagnie de danse, Maï(g)wenn et les Orteils.

Danser hors des sentiers battus
Maïgwenn gravite dans le milieu de la gigue contemporaine depuis de nombreuses années. En 2007, le directeur artistique de la Biennale de gigue contemporaine l’invite à créer une chorégraphie. « Je me suis dit non non non, moi je ne chorégraphie pas, je suis une interprète. Je vais chorégraphier quand je vais avoir quelque chose à dire, that’s it. Là, je suis pas inspirée. » Mais voilà que l’année suivante, elle rencontre Anthony aux Muses et c’est l’épiphanie. «Je me suis dit que j’aimerais le faire danser. Et que j’aimerais danser avec lui. » Anthony est Asperger, très renfermé, très inhibé, et ne veut rien savoir de danser. Son truc à lui, c’est le chant. Maïgwenn doit travailler très fort pour qu’il accepte. « On est parti de loin, mais ça n’a pas de sens le chemin qu’il a fait! Dans le duo qu’on a construit, je bâtissais notre relation petit à petit, je repoussais tout le temps les limites. Je lui ai dit que je me voyais commencer sur son dos. Alors que lui, les contacts physiques… pas vraiment. (rires) Il a finalement embarqué. » Le directeur de la Biennale en redemande et lui commande une autre chorégraphie pour l’édition suivante. Gabrielle (qu’on a pu voir dans le film du même nom) arrive aux Muses à ce moment-là et se joint à Maïgwenn et Anthony. « Gabrielle vit avec le syndrome de Williams, elle est extravertie, tout est exagéré, toute la vie c’est comme des licornes. C’est l’opposé d’Anthony. Je suis tout le temps au milieu, entre les deux, dans la chorégraphie, mais aussi en répétition ou ailleurs. » C’est ainsi que de fil en aiguille, l’équipe s’agrandit et la collaboration entre les danseurs devient officiellement Maï(g)wenn et les Orteils en 2014.

Normaliser la différence
Au départ, Maïgwenn vit une certaine anxiété à l’idée d’exposer des interprètes différents au regard des autres. « Ça ne faisait pas partie de la commande initiale, mais moi je ne me voyais pas chorégraphier autrement. J’ai choisi de travailler avec des êtres humains qui me parlent, qui me touchent. Je veux qu’ils aient une place égale à celle d’une personne qui n’aurait pas de déficience ou de déficit cognitif, social, intellectuel. Qu’ils puissent se définir comme des êtres à part entière, sans compromis, voir qui ils sont au-delà de leur handicap ou de leurs différences. Au début, j’avais tendance à justifier ou excuser leur comportement stéréotypé mais là, je ne m’en rends même plus compte, j’oublie qu’ils sont différents. Ça fait qu’on se parle tous d’égal à égal. C’est ça, la normalité. »
Faire partie d’un projet professionnel de cette envergure a un impact concret et extrêmement positif sur les danseurs. « Anthony, Gabrielle et Roxane [une autre interprète] sont capables de réserver eux-mêmes leur plage horaire d’entrainement. Quand j’écris des courriels, les parents sont en cc, mais c’est à eux que je m’adresse. Quand je leur demande quelque chose, je m’attends à ce que ce soit eux qui me répondent, pas leur mère. On regarde leur calendrier ensemble, on va lire le contrat ensemble avant qu’ils le signent. Ils sont tellement plus capables d’en prendre qu’on pense! Et ça leur donne un grand pouvoir sur leur autonomie, ça aide leur estime d’eux-mêmes. »
La compagnie a une feuille de route impressionnante, comptant déjà cinq créations à son actif, près d’une centaine de représentations au Québec, en France et en Suisse, et environ 400 ateliers sur l’intimidation donnés dans les écoles primaires de Montréal. Les interprètes y parlent de leur métier de danseurs, de la vie de tournée, et aussi de leurs syndromes. « Ils deviennent des modèles. Quand on sort de la classe, les élèves se pitchent pour avoir des autographes. C’est super bénéfique pour eux, pour tout le monde. »
Maï(g)wenn et les Orteils est maintenant soutenue par trois paliers de gouvernement. « Le Conseil des arts reconnait mon travail et celui de mes interprètes à valeur égale à n’importe quelle compagnie de danse professionnelle, sans qu’on n’ait mis de l’avant que c’était des personnes handicapées. On est jugé par la qualité de notre travail et on est maintenant soutenu au fonctionnement. C’est toute une reconnaissance! »

Un foyer pas comme les autres
Quand on ouvre la porte de la maison ancestrale, les couleurs, les photos, les collages, tout nous indique qu’une famille y habite. Et une famille qui sort de l’ordinaire! Maïgwenn et son amoureux ont en effet adopté trois enfants maintenant âgés de 8, 6 et 3 ans. Toute une aventure dont ils n’avaient pas mesuré l’ampleur au moment de se jeter à l’eau. « C’est quelque chose que je me dis souvent dans ma vie, avec le recul. Si j’avais su c’était quoi m’occuper d’une compagnie de danse, je ne l’aurais peut-être pas fait, et si j’avais su c’était quoi adopter des enfants, j’aurais peut-être un peu plus hésité. Je dois avoir une belle naïveté! » Ce qui ne l’a pas empêchée de récidiver trois fois. « On dit que les femmes oublient la douleur de l’accouchement, ben je pense que c’est la même chose! »
Confronté à des problèmes de fertilité, l’adoption au Québec s’impose au couple comme étant l’option la mieux adaptée à leur situation. Afin de contrer les délais incroyables et mettre toutes les chances de leur côté, ils s’inscrivent sur trois listes d’attentes, soit pour l’adoption, pour devenir famille d’accueil Banque-Mixte (avec de bonnes perspectives d’adoption) et famille d’accueil régulière. Ils guettent avec fébrilité l’apparition du numéro de téléphone du Centre Jeunesse qu’ils connaissent par cœur sur leur afficheur, impatients d’accueillir un enfant (et même plusieurs!) sous leur toit. Le téléphone sonne rapidement et R. débarque dans leur vie tout juste deux mois après leur accréditation. « Il ne faisait pas partie de la Banque-Mixte, même s’il en avait le profil. Ses parents étaient vraiment désengagés, venaient d’un milieu avec beaucoup de toxicomanie, de violence, le père faisait de la prison, donc c’était peu probable qu’ils le reprennent. » Tout se déroule merveilleusement bien, le processus menant à l’adoption suit son cours harmonieusement, et R. intègre très bien sa vie de famille. Mais comme quoi chaque situation diffère, au deuxième appel, le scénario est tout autre et frôle le scénario catastrophe. « Les parents de L. étaient très très engagés mais les deux avaient une déficience intellectuelle. La petite avait été retirée à la naissance et classée en Banque-Mixte, mais à 6 ans, elle n’est pas encore adoptée officiellement. Ça a été un dossier mal géré du début à la fin. Elle a développé un trouble de l’attachement. Il a fallu qu’on exige du Centre jeunesse une évaluation en pédopsychiatrie parce qu’elle n’allait vraiment pas bien, c’était une enfant en détresse. On n’avait aucun feedback des contacts supervisés avec les parents biologiques de la part des intervenants. Est-ce qu’elle a mangé? Elle revient avec les yeux rouges, est-ce qu’elle a pleuré tout le long? On ne savait rien. Et on n’avait aucun pouvoir, à part crier et pleurer. » Le processus est long, ardu, douloureux et laisse des traces autant chez les parents que chez la petite qui en subit les séquelles émotives.
Malgré toutes les embûches rencontrées, ils ouvrent leurs bras à un petit dernier qui trouve sa place dans leur foyer. « On savait qu’on en voulait un troisième, on savait qu’on avait de la place émotivement. Comme mon chum dit, c’est comme si on savait qu’on avait de la place dans notre cœur. On se voyait avec une grosse famille. » Et cette fois, c’est directement à la pouponnière qu’ils vont chercher le petit E. âgé de tout juste 5 jours! « On s’était dit l’adoption régulière, on oublie ça, ils n’arriveront jamais à notre nom. Et finalement, ça a été notre tour! »

Se tourner vers l’adoption au Québec, c’est un coup de dé, c’est être prêt à toute éventualité. Les expériences peuvent être merveilleuses, comme elles peuvent être catastrophiques. « Tu vis avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, ton enfant peut t’être enlevé tant qu’il n’est pas adopté. Impossible de te mettre en mode stand-by jusqu’à la fin de l’approbation des parents. Tu t’attaches. Tu ne te protèges pas. Avec L., le processus a été tellement exigeant et compliqué, il y a quelque chose qui a dû, par protection, se couper. Là je me reconnecte. Je le sens. Je pense aussi que j’ai dû canaliser mes émotions dans mes œuvres. »
Parce que la vie faisant drôlement les choses, chaque enfant a sa création. «Quand R. est arrivé, j’étais au début de la création de Dans ta tête. Je me suis demandé « j’arrête de créer ou je continue? » Je continue. L. est arrivée au début de Six pieds sur terre, et E. est arrivé au début d’Avec pas d’cœur. C’est fou! Un bébé, une création. Par hasard. »
Un entourage précieux
Trois histoires complètement différentes, trois parcours uniques, trois enfants qui trainent tous un bagage particulier, même s’ils ont été accueillis chez Maïgwenn en bas âge. Ils doivent composer avec plusieurs troubles et traumatismes, un possible TDAH, avec des répercussions à la garderie et à l’école… La proximité de la mère de Maïgwenn qui habite juste à côté ainsi que de psychoéducateurs dans leur cercle d’amis proche est d’un secours inestimable. « Mon réseau, c’est ça, et c’était ça avant d’avoir des enfants. C’est comme si la vie m’avait outillée. Et puis il y a toujours une solution à chaque problème. Mes parents m’ont élevée comme ça. Je suis optimiste de nature. »

Comment arrive-t-elle à jongler avec tout ça? « Là j’ai eu 40 ans, et à chaque jour, quand je me lève, je me dis ah, c’est peut-être cette semaine que je vais frapper mon mur. » Mais ce qui ne vide pas cette femme positive et lumineuse la nourrit. « Les réunions pour les budgets jusqu’à 21h30, c’est pas relaxant, mais dans ma tête ça m’apporte tellement. Et avec les enfants, malgré les difficultés, chaque petite réussite est une fierté et une tape dans le dos. J’aime tout ce que je fais et tout ce que j’ai fait. Je m’implique entièrement, sans compromis. Ma vie est bien remplie. »
T’est vraiement inspirante et généreuse ,Le coeur tout grand ouvert ,c’est bon de lire ton parcours , y a des outils qui sont apparus dans ta vie et tu as su les utiliser au bons moments Bravo
Tu es une battante. Bravo! Merci d’avoir partagé ton parcours de vie. C’est inspirant et stimulant. Garde ta belle énergie positive.
Très touchant, bravo, Maïgwenn!
C’est admirable tout ce que tu as accompli, Maïgwenn, et ça continue! Tu as partagé sans compter ta créativité et ta générosité dans ta vie et dans ton art. Tu es un bel exemple de persévérance et de détermination !